La politique de détente régionale devrait reposer sur le concept d’Ostpolitik

Des combattants du Hezbollah défilent dans le village libanais d’Aaramta, le 21 mai 2023. (AFP)
Des combattants du Hezbollah défilent dans le village libanais d’Aaramta, le 21 mai 2023. (AFP)
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Publié le Dimanche 23 juillet 2023

La politique de détente régionale devrait reposer sur le concept d’Ostpolitik

La politique de détente régionale devrait reposer sur le concept d’Ostpolitik
  • L’Ostpolitik a conduit à plusieurs traités qui ont brisé la glace entre les blocs de l’Est et de l’Ouest
  • De même, l'Arabie saoudite et l’Iran devraient œuvrer ensemble pour une solution au Yémen qui inclurait les différentes factions et permettrait la mise en place d’un État

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est rendu dans le Golfe cette semaine, marquant un nouveau chapitre dans les relations de la Turquie avec la région. Le rapprochement de la Turquie avec le Golfe s’inscrit dans une tendance générale à la désescalade. En avril, l’Iran et l’Arabie saoudite ont signé un accord négocié par la Chine pour rétablir les relations diplomatiques. Cependant, la question essentielle reste de savoir comment ce rapprochement peut conduire à la stabilité.

Outre les spoilers évoqués dans mon article précédent qui ont tout intérêt à faire voler en éclats ce rapprochement – Israël, les forces radicales en Iran et un potentiel retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2024 –, notre expérience dans la région montre que les périodes de désescalade ont tendance à être de courte durée. Après la défaite de Saddam Hussein, la relation entre l’Arabie saoudite et l’Iran était acceptable, car l’Irak était le nouvel ennemi commun. L’Iran avait été contenu grâce à la politique de «double confinement» de Martin Indyk (ancien ambassadeur des États-Unis en Israël). Cependant, la situation s’est inversée avec l’invasion américaine de l’Irak, l’Iran s’émancipant et constituant, une fois de plus, une menace existentielle pour l’Arabie saoudite, comme il l’avait été après le début de la révolution de 1979.

Mais comment est-ce possible que cette désescalade ait été inversée du jour au lendemain? La réponse est simple: parce que la désescalade était basée sur la suppression d’une partie (dans ce cas, l’Iran), ce qui a soulagé l’autre partie. Elle n’était pas fondée sur des garanties de sécurité mutuelles. Ainsi, l’Iran a immédiatement adopté une attitude offensive dès qu’il a eu l’occasion de mettre fin à l’isolement imposé par les Américains.

Si, au cours de la décennie qui a suivi la première guerre du Golfe, le Golfe avait travaillé avec l’Iran pour établir une confiance mutuelle et mettre en place des garanties de sécurité mutuelles, la situation aurait été différente après la chute de Saddam et certainement après les soulèvements arabes.

Il ne faut pas oublier que les différents pays sont tous confrontés à des menaces existentielles. Les pays du Golfe font face à la menace iranienne, mais certains voient également dans le mouvement des Frères musulmans une menace intérieure. De même, la Turquie se sent menacée. La tentative de coup d’État de 2016 a renforcé le sentiment d’insécurité d’Ankara – le pays ayant déjà connu quatre coups d’État dans son Histoire moderne. Le plus récent, en 1997, a eu lieu contre le gouvernement de Necmettin Erbakan, qui a été destitué par l’armée dans un climat de complaisance internationale.

De même, l’Iran est constamment confronté à une menace existentielle. Le changement de régime à Téhéran a été évoqué à plusieurs reprises depuis 1979 dans le discours politique américain. Les Iraniens perçoivent également le soutien du Golfe à l’Irak pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak comme une tentative de briser leur pays. Il existe donc une méfiance et une menace mutuelles, et la première étape est un changement de mentalité.

Nous avons besoin d’une mentalité «Ostpolitik» («politique de l’Est»). C’était la politique adoptée par le chancelier allemand, Willy Brandt, en 1969. Il s’agit d’une rupture avec la politique précédente qui appelait à l’autodétermination et à la réunification de l’Allemagne. Il a accepté et reconnu la République démocratique allemande (RDA, appelée «Allemagne de l’Est») et la ligne Oder-Neisse. Cette politique a apporté une nouvelle pensée, qui a accepté le statu quo et abandonné l’idée de changement de régime. Si tout le monde au Moyen-Orient devait adhérer à une telle mentalité aujourd’hui, cela conduirait à une désescalade. L’Arabie saoudite accepterait la Turquie et l’Iran tels qu’ils sont et inversement.

«Si tout le monde au Moyen-Orient devait adhérer à une telle mentalité aujourd’hui, cela conduirait à une désescalade.» 

Dr Dania Koleilat Khatib

L’Ostpolitik a conduit à plusieurs traités qui ont brisé la glace entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. Ces accords ont facilité la vie des personnes déplacées pendant la Seconde Guerre mondiale. Le premier accord fut le traité de Moscou de 1970, qui reconnaissait les frontières européennes en vigueur. Dès lors, l’essentiel est de dégager des principes généraux pouvant lier les différents États, puis de migrer vers des accords opérationnels. Une mentalité Ostpolitik est nécessaire pour que la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite règlent leurs différends.

Au lieu d’utiliser leur influence dans les différents pays pour se faire concurrence, ils devraient s’en servir pour concevoir des solutions qui apportent une stabilité dont tout le monde pourrait tirer profit. Ces accords devraient être fondés sur la bonne gouvernance, l’État de droit et le développement économique.

Toute plate-forme réunissant les trois puissances régionales – l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Iran – devrait adopter des valeurs susceptibles de renforcer la confiance mutuelle, favorisant ainsi la coopération et le multilatéralisme. Le pire résultat possible de ce rapprochement serait d’adopter l’approche du compromis.

Il n’y a pas si longtemps, au cours du débat sur la présidence libanaise, on répétait que l’Iran ferait pression sur les Houthis pour qu’ils cessent d’attaquer l’Arabie saoudite. En contrepartie, le Royaume permettrait à l’Iran d’avoir carte blanche au Liban. Cette idée était diffusée pour expliquer une éventuelle acceptation saoudienne de Sleiman Frangié, le candidat du Hezbollah à la présidence. Heureusement, ce compromis n’a pas eu lieu. L’approche de compromis ne conduira ni à la stabilisation ni à l’instauration de la confiance.

À l’instar de l’Ostpolitik de M. Brandt, qui visait à améliorer la vie quotidienne des gens après la Seconde Guerre mondiale, le nouveau rapprochement ne devrait pas consister à délimiter des zones d’influence, mais à proposer des accords opérationnels qui conduiraient à la stabilité et favoriseraient le développement. Ainsi, dans le cas du Liban et du Yémen, la solution n’est pas de permettre à l’Iran de faire ce qu’il veut au Liban en échange du calme à la frontière sud-saoudienne, mais de collaborer avec l’Iran pour mettre sur pied un gouvernement à Beyrouth qui exécutera les réformes.

Dans un tel contexte, l’Iran demanderait à son partenaire libanais, le Hezbollah, de permettre la constitution d’un gouvernement de technocrates, puisque seul un tel gouvernement peut mener les réformes nécessaires et empêcher le pays de s’effondrer. En échange, l’Arabie saoudite donnerait à l’Iran et à son partenaire les garanties de sécurité nécessaires. Il est important de noter que le groupe pro-Iran considère le pouvoir politique au sein du système libanais comme une garantie de sécurité dans un environnement dangereux.

De même, l’Arabie saoudite et l’Iran devraient œuvrer ensemble pour une solution au Yémen qui inclurait les différentes factions et permettrait la mise en place d’un État. Riyad devrait collaborer avec la Turquie pour trouver une solution pour la Syrie et la Libye.

En un mot, le rapprochement au Moyen-Orient devrait être régi par le principe directeur de la non-ingérence et être suivi d’accords opérationnels qui stabiliseraient la région.

 

Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est chercheuse affiliée à la Hoover Institution, Stanford, et présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com