Les émeutes en France vues par la presse étrangère

Des policiers anti-émeutes français montent la garde derrière une poubelle brûlée lors d'une manifestation contre la police à Marseille, dans le sud de la France, le 1er juillet 2023, après une quatrième nuit consécutive d'émeutes en France à la suite du meurtre d'un adolescent par la police. (AFP).
Des policiers anti-émeutes français montent la garde derrière une poubelle brûlée lors d'une manifestation contre la police à Marseille, dans le sud de la France, le 1er juillet 2023, après une quatrième nuit consécutive d'émeutes en France à la suite du meurtre d'un adolescent par la police. (AFP).
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Publié le Mercredi 12 juillet 2023

Les émeutes en France vues par la presse étrangère

Les émeutes en France vues par la presse étrangère
  • «We told you so!» Oui, on vous l’avait bien dit, soutient Trevor Phillips dans le Times de Londres: la France a connu son lot de signaux d’alarme depuis les émeutes de 2005!
  • L’analyste politique Jerry Maher souligne que, déjà en 2020, «le mouvement mondial Black Lives Matter avait également résonné en France, avec des manifestations contre les violences policières et le racisme systémique

17 avril 2023: pour tourner la page noire des manifestations contre la Réforme des retraites, Emmanuel Macron s’était, dans une allocution télévisée, donné cent jours: «Nous avons devant nous cent jours d’apaisement. Je vous fais confiance, je nous fais confiance». Soixante-dix jours plus tard, c’est le chaos: l’émotion soulevée par la mort du jeune Nahel Merzouk allait mettre le feu à la France. Une semaine d’émeutes dévastatrices qui rappellent celles que le pays avait, en 2005, connues durant trois semaines. Une référence que n’ont pas manqué de signaler nombre de journaux étrangers: La Repubblica, Le Temps, The Guardian, Bild, New York Times, The Washington Post, El-País, L’Orient-Le Jour, El Khabar (Algérie), De Volskrant (Pays-Bas)…

«We told you so

Selon La Croix, 553 villes ont été touchées, et ce ne sont pas toutes des «banlieues chaudes»! Le journal cite un sociologue: «Les villes éloignées des métropoles connaissent le même phénomène de ségrégation. Les conditions de vie y sont parfois plus difficiles mais (…) elles retiennent moins l’attention des pouvoirs publics.» (1). On dit que les émeutes en France sont toujours le fait d’étrangers, voire des seuls immigrés. Le tableau ci-dessous, daté de 2019, raconte une autre histoire…

«We told you so Oui, on vous l’avait bien dit, soutient Trevor Phillips dans le Times de Londres: la France a connu son lot de signaux d’alarme depuis les émeutes de 2005! Ce qui fait conclure au Sunday Telegrah: «Le modèle français est cassé!». Pour El País, «L’année de la grande révolte des banlieues est dans tous les esprits, du pouvoir de l’Élysée aux habitants des banlieues (…) C’est la France de 2023, un pays qui vit une anomalie..» Quant au Frankfurter Allgemeine Zeitung, rien n’est moins rassurant, surtout que, cette fois, «Internet attise le feu plus rapidement que ne le pouvaient les images télévisées». Les réseaux sociaux, certes, ont «bon dos». Même Emmanuel Macron les a vilipendés, ce qui a inspiré cette caricature parue le 6 juillet dans L’Opinion:

La France: une société fracturée sur un volcan

Et pour couronner le tout, l’ONU a carrément exhorté la France à «se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein des forces de l’ordre»! Triste admonestation, pour le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen!... Pour Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme, «C'est le moment de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre» (et de faire respecter par la police) les principes de légalité, de proportionnalité, de précaution et de responsabilité».

Pour Le Soir, c’est «l’image d’une France qui semble vivre sur un volcan» – le quotidien belge déplorant au passage que «les habitants des cités d’aujourd’hui n’aient pas de citoyenneté». Pour le Sunday Times, la France se vit comme une «nation fracturée», à cause des relations interraciales devenues tendues». La Stampa parle de «l’aveuglement et de l’hypocrisie d’une classe politique en faillite» face à «une intifada de jeunes cagoulés», et conclut à une «crise du modèle français qui promet toujours et ne tient jamais».

Le Financial Times, lui, ne se contente pas de faire le lien entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, il rappelle le fiasco de tous les «plans banlieues», soulignant l’incapacité des gouvernements successifs à améliorer la situation, «malgré quarante ans de plans pour les banlieues» (2). Le journal britannique, qui appelle carrément à l’instauration d’une VIe République, n’hésite pas à ajouter de l’huile sur le feu: «La colère des Français transcende les retraites et l'autoritarisme de Macron. Il s'agit d'une rage généralisée et durable contre l'État, et son incarnation, le président».

2005, l’écrivain Azouz Begag s’en souvient, lui qui, cette année-là, venait d’être nommé ministre de l’Égalité des chances, sous la présidence de Jacques Chirac: «Zyed et Bounad venaient de trouver la mort à Clichy-sous-Bois, après une altercation avec des policiers». Le 30 juin, sur Arab News en français, il écrira, amer: «Ce que le journaliste Fausto Giudice nommait “les Arabicides” dans les années 1980-1990, ont jalonné ces heurts depuis des décennies», et de conclure: «On ne l’imaginait pas chez nous, en France.» (3)

Sur le même site Arab News, l’analyste politique Jerry Maher souligne que, déjà en 2020, «le mouvement mondial Black Lives Matter avait également résonné en France, avec des manifestations contre les violences policières et le racisme systémique. Les manifestants ont appelé à la justice et à des réformes au sein de la police» (4). Force est de noter que l’appel à de telles réformes s’est multiplié depuis le drame du 27 juin dans certains milieux politiques français…

Et puis, il y a la presse maghrébine…

Alors que L’Observateur (Maroc) et Le Temps (Tunisie) jouent sur un registre mesuré, le premier titrant: «France. Les violences font fuir les touristes»; le second: «LFI propose un plan d’urgence (de sortie de crise)», la presse algérienne, elle, a choisi des titres revêches, comme celui de L’Expression: «La France vogue de crise en crise – Gilets jaunes, réforme des retraites et racisme nourri» ; El Khabar: «Les feux du racisme embrasent la France»:

La palme revenant au Jeune Indépendant: «L’Iran appelle la France à cesser la violence envers sa population.» (sic)

Quant au communiqué d’Alger, exhortant Paris à son «devoir de protection» envers les ressortissants algériens (souvent binationaux, faut-il rappeler), le site marocain Le 360 y voit une «indécente récupération politique de la mort du jeune Nahel pour régler des comptes avec la France». Ainsi, les réactions de Rabat étaient d’une facture économique (tourisme, quand tu nous tiens!); celles d’Alger ne pouvaient être que politiques. En somme, chacun ses affaires. Chacun sa «rente», dirait le président français.

(1) La Croix
(2) Émeutes en France: «Un profond sentiment de déjà-vu», France24
(3) Arab News en français
(4) Jerry Maher est conseiller de Bahaa Hariri, le fils de Rafik Hariri

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.