Les bouquinistes de Paris, ces indociles qui refusent de déménager

Albert Abid, bouquiniste de 62 ans, pose devant son stand, où il vend des livres anciens et de vieilles affiches, sur la rive gauche de la Seine à Paris, le 29 août 2023. (Photo Miguel Medina AFP)
Albert Abid, bouquiniste de 62 ans, pose devant son stand, où il vend des livres anciens et de vieilles affiches, sur la rive gauche de la Seine à Paris, le 29 août 2023. (Photo Miguel Medina AFP)
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Publié le Dimanche 17 septembre 2023

Les bouquinistes de Paris, ces indociles qui refusent de déménager

  • La Préfecture de Paris, dans son projet de déplacer quelque 570 boîtes à livres fixées au parapet le long de la Seine, semble avoir mal anticipé la résistance de cette corporation
  • Il y a une solution bien plus simple, qui est de faire passer des démineurs, de sceller les boîtes et de rouvrir très vite ensuite», explique le vice-président de l'Association culturelle des bouquinistes de Paris, Pascal Corseaux

PARIS : Déménager les bouquinistes de Paris pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques ? C'est un non ferme et définitif de cette profession indocile, qui s'est attiré la sympathie de l'opinion publique bien au-delà des bords de Seine.

«C'est un peu un métier d'anarchistes», dit à l'AFP Alexia Delrieu, 50 ans, qui l'exerce depuis une douzaine d'années à côté du pont de la Tournelle.

Raison pour laquelle la Préfecture de Paris, dans son projet de déplacer quelque 570 boîtes à livres fixées au parapet le long de la Seine, semble avoir mal anticipé la résistance de cette corporation.

La méthode de l'exécutif l'a heurtée. C'est la mairie de Paris qui, lors d'une réunion sur les JO le 10 juillet, a commencé à évoquer le sujet: pour raisons de sécurité, il allait falloir penser à laisser place nette, pour le soir où la cérémonie investirait le fleuve.

Ces commerçants ont demandé un écrit officiel. Une lettre de la Préfecture leur a confirmé que, dans les jours précédant le 26 juillet 2024, leur commerce et leur fonds devraient quitter les lieux temporairement.

- «Pas de vraie règle» -

«Nous appelons à la raison. Démonter ces boîtes est un cauchemar logistique. Beaucoup d'entre elles n'y survivront pas. Il y a une solution bien plus simple, qui est de faire passer des démineurs, de sceller les boîtes et de rouvrir très vite ensuite», explique le vice-président de l'Association culturelle des bouquinistes de Paris, Pascal Corseaux.

Pour tout maire de Paris, la question des bouquinistes est délicate. Ils ne paient pas de loyer pour leur occupation du domaine public. Et ils ne suivent pas toujours scrupuleusement les règles qui doivent garantir, principalement, un minimum de cohérence dans le paysage et de jours d'ouverture.

«Le règlement, le règlement...», soupire Guido Cuccolo, 71 ans, implanté quai de Conti. «Il change tout le temps. Bouquiniste, c'est une profession de liberté: il n'y a pas de vraie règle».

Lui qui arbore, avec sa longue barbe blanche, son caractère de contestataire-né, se dit «optimiste» quant à ses chances de rester là, JO ou pas. En dépit des autorités, car selon lui, «la mairie de Paris n'en a rien à faire de nous».

Très vite, les bouquinistes ont compris qu'ils devaient jouer la carte de l'opinion. Elle s'est montrée extrêmement favorable à leur cause dès que le sujet a passionné les médias nationaux et internationaux.

- Profession désargentée -

Dans la presse française par exemple, aussi bien le quotidien communiste L'Humanité que l'hebdomadaire Le Journal du dimanche (désormais dirigé par le journaliste marqué à l'extrême droite Geoffroy Lejeune) sont allés très récemment à leur rencontre.

Une agence de relations presse s'occupe aujourd'hui de ce combat, pour continuer à faire vivre un sujet qui pourrait s'éteindre dans l'indifférence. Bénévolement, car la profession est désargentée.

«La belle époque, c'était il y a 20 ans et plus, avant Internet. Maintenant, il faut trimer pour arriver au Smic», constate Guido Cuccolo.

La réalité économique est que beaucoup de ces commerçants ne se relèveraient pas de devoir attendre qu'en pleine saison touristique, on enlève, restaure et réimplante leurs boîtes en bois vert wagon.

«La mairie a changé ses critères d'attribution. Maintenant, elle tâche de donner un emplacement aux gens qui ont d'autres sources de revenus», explique Alexia Delrieu. Elle-même est autrice jeunesse, sculptrice et céramiste.

«Ceux qui nous disent que c'est tout à fait faisable de déménager, qu'on va nous rendre des boîtes très belles, ils ne se rendent pas compte», déplore-t-elle. «J'ai des voisins qui, s'ils ne vendent pas un jour, ne mangent tout simplement pas».


Le Haïtien Louis-Philippe Dalembert prix Goncourt de la poésie

L'écrivain français Louis-Philippe Dalembert (Photo, AFP).
L'écrivain français Louis-Philippe Dalembert (Photo, AFP).
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  • Né dans un quartier populaire de Port-au-Prince en 1962, enfant et adolescent passionné de livres, Louis-Philippe Dalembert est diplômé en journalisme et docteur en littérature comparée en France
  • L'Académie Goncourt a décerné trois autres prix mardi.

 

PARIS: L'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert a reçu mardi le prix Goncourt de la poésie pour l'ensemble de son oeuvre, a annoncé le jury dans un communiqué.

L'auteur de "Milwaukee Blues", roman qui faisait partie des quatre finalistes du prix Goncourt 2021, est l'auteur d'une dizaine de recueils de poèmes.

Le dernier en date, édité également cette année-là, s'appelle "Ces îles de plein sel et autres poèmes" (éditions Point).

Né dans un quartier populaire de Port-au-Prince en 1962, enfant et adolescent passionné de livres, Louis-Philippe Dalembert est diplômé en journalisme et docteur en littérature comparée en France. Il a reçu le Prix de la langue française en 2019, remis par un jury qui mêle membres de l'Académie française et de l'Académie Goncourt.

L'Académie Goncourt a décerné trois autres prix mardi.

Le Goncourt du premier roman est allé à Eve Guerra pour "Rapatriement", paru en janvier aux éditions Grasset. Le récit des difficultés du rapatriement en France du corps du père de la narratrice, tué dans un accident de travail au Cameroun, est l'occasion d'une réflexion sur son histoire familiale.

Le Goncourt de la nouvelle a consacré un recueil de Véronique Ovaldé, "À nos vies imparfaites", publié en avril aux éditions Flammarion.

Enfin, pour le Goncourt de la biographie, le choix du jury s'est porté sur celle de Madame de Sévigné, célèbre épistolière du XVIIe siècle, par Geneviève Haroche-Bouzinac, professeure à l'université d'Orléans.

L'Académie Goncourt a changé lundi soir de président, en élisant à ce poste Philippe Claudel, qui succède à Didier Decoin.

Les prix Goncourt, dits de printemps, sont attribués par le même jury que le célèbre prix Goncourt, plus prestigieuse des récompenses littéraires françaises décernée fin octobre ou début novembre.


Sur internet, des appels au boycott des stars restées silencieuses sur la guerre à Gaza

La chanteuse américaine Lizzo arrive pour le Met Gala 2024 au Metropolitan Museum of Art le 6 mai 2024 à New York (Photo, AFP).
La chanteuse américaine Lizzo arrive pour le Met Gala 2024 au Metropolitan Museum of Art le 6 mai 2024 à New York (Photo, AFP).
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  • «Ils savent qu'ils auraient dû en parler depuis longtemps, mais maintenant que nous avons initié ce mouvement, ils commencent à briser le silence»
  • Selon le site spécialisé Social Blade, Kim Kardashian a perdu plus de 814.000 abonnés sur Instagram en un mois

WASHINGTON: Sur les réseaux sociaux, les appels à bloquer les comptes de célébrités influentes s'intensifient, un mouvement qui vise à sanctionner les stars restées silencieuses sur la guerre à Gaza.

Les chanteuses américaines Beyoncé et Taylor Swift ou encore la star de téléréalité et femme d'affaires Kim Kardashian figurent parmi les cibles de cette mobilisation propalestinienne. Et la vague de réprobation prend de l'ampleur depuis la récente tenue en grande pompe du gala du Met, grand messe annuelle de la mode à New York à laquelle a participé le gratin du showbiz.

Sur TikTok, le hashtag "blockout2024" cumulait lundi plus de 30.000 publications. Des vidéos égrénant les noms des invités du gala et les autres personnalités à "bloquer" recensaient des milliers de "likes".

"Quand ils bombardaient Rafah où il y a des milliers d'enfants, on entendait davantage parler de la tenue de Zendaya que de ce qui se passait" dans cette ville de la bande de Gaza, dénonce une internaute du nom de Shompa. "En les bloquant, vous les frappez au portefeuille".

Selon le site spécialisé Social Blade, Kim Kardashian a perdu plus de 814.000 abonnés sur Instagram en un mois, Selena Gomez plus d'un million, l'acteur Dwayne Johnson dit "The Rock" plus de 397.000 et Beyoncé environ 700.000.

"Ils savent qu'ils auraient dû en parler depuis longtemps, mais maintenant que nous avons initié ce mouvement, ils commencent à briser le silence. C'est en train de marcher, continuez à bloquer!", se réjouit sur TikTok une influenceuse nommée Muna.

«Très délicat»

La chanteuse Lizzo a publié  une vidéo dans laquelle elle invite sa communauté à collecter des fonds pour aider un médecin à Gaza à mettre sa famille à l'abri, pour le Soudan ou le Congo.

Sous sa publication, un "merci" de l'une de ses abonnées, puis une pluie de commentaires négatifs: "Je vais continuer de la bloquer", "c'est de la connerie (...) elle fait juste ça car elle est sur la liste", etc.

Depuis le conflit à Gaza déclenché par l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre, des militants propalestiniens et pro-israéliens exhortent les célébrités à prendre position sur les réseaux sociaux.

Pour David Jackson, chercheur en sciences politiques spécialiste de la mobilisation des jeunes, ces appels s'expliquent en partie par l'implication traditionnelle des stars aux Etats-Unis dans la sphère politique et le fait que les réseaux sociaux donnent aux internautes l'impression de connaître personnellement leurs idoles.

"Ne pas prendre position sur une question importante, ou prendre une position impopulaire, peut conduire à une plus grande désapprobation du public" envers une star, dit l'expert à l'AFP.

Or "ce conflit est très, très délicat à gérer pour une célébrité", souligne Natasha Lindstaedt, professeure à l'université d'Essex qui a étudié le militantisme des stars. "Et même des déclarations qui semblent pouvoir être acceptées universellement peuvent contrarier les gens", poursuit-elle.

L'actrice américaine Susan Sarandon a ainsi été remerciée par son agence UTA après avoir pris la parole lors d'un rassemblement propalestinien en novembre. L'humoriste Jerry Seinfeld s'est retrouvé récemment sous le feu des critiques pour s'être rapproché d'Israël.

Marie-Antoinette 

Ce récent mouvement de boycott est parti d'une vidéo, depuis supprimée, dans laquelle la créatrice de contenus Haley Kalil se filmait avec en fond sonore un passage du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola. On y voit la reine de France lancer "let them eat cake!" ("qu'ils mangent de la brioche!").

Cette phrase célèbre, qui symbolise la condescendance des puissants envers les plus pauvres, a enflammé les réseaux sociaux alors que la population palestinienne de la bande de Gaza ravagée est menacée par la famine.

"Il est temps de bloquer toutes les célébrités, les influenceurs et les riches qui n'utilisent pas leurs ressources pour aider ceux qui en ont cruellement besoin", lance l'influenceuse Rae, dite "Lady from the outside", appelant à mettre en place une "guillotine numérique" contre ces personnalités.

L'indignation des internautes a été attisée par la démesure du gala du Met la semaine dernière, où selon le New York Times, un couvert coûtait 75.000 dollars, une table entière 350.000 dollars.

Sur les réseaux, les comparaisons ont ainsi fleuri entre l'événement new-yorkais et le film dystopique "Hunger Games". Celui-ci dépeint une élite qui participe à de somptueux banquets et organise des jeux cruels pendant qu'une partie de la population meurt de faim.

Difficile pour autant d'évaluer l'impact financier du mouvement sur les célébrités, "à moins qu'elles ne soient complètement boycottées", estime Mme Lindstaedt. "Mais dans le cas de Taylor Swift ou de Beyoncé il n'y a aucune chance que cela arrive".


Meryl Streep, l'exception hollywoodienne

L'actrice américaine Meryl Streep (Photo, AFP).
L'actrice américaine Meryl Streep (Photo, AFP).
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  • D'une beauté atypique, cette blonde au front haut et au nez légèrement dévié ne correspond pas aux canons hollywoodiens
  • En cinquante ans de carrière, «The Queen Meryl» a récolté presque toutes les distinctions, dont un record de 21 nominations aux Oscars

PARIS: Actrice à la longévité exceptionnelle, Meryl Streep, qui recevra mardi soir une Palme d'or d'honneur au 77e Festival de Cannes, a défié les règles hollywoodiennes en incarnant des femmes intenses au fil d'une impressionnante filmographie.

En cinquante ans de carrière, "The Queen Meryl" a récolté presque toutes les distinctions, dont un record de 21 nominations aux Oscars et 3 statuettes dorées.

Elle a collaboré avec Michael Cimino, Sydney Pollack, Clint Eastwood, Steven Spielberg, Steven Soderbergh ...

"J'ai tout ce dont je pouvais rêver", reconnaissait-elle en 2011 après son 3e Oscar. "Laissons-en un peu aux autres ! Franchement, je comprends qu'on en ait assez de Streep. Même moi, ça me choque!"

Qualifiée de meilleure actrice au monde - titre que cette femme discrète rejetait catégoriquement -, elle s'est longtemps présentée comme une mère de quatre enfants, mariée au même homme pendant 45 ans et qui, accessoirement faisait du cinéma.

"Elle est la personne la plus dépourvue de mystère que je connaisse. Elle est très simplement une jeune Américaine, charmante, saine, attirante, intelligente", affirmait Alan J.Pakula en 1982. "Mais dès qu'elle joue, elle est la femme la plus mystérieuse qui soit".

D'une beauté atypique, cette blonde au front haut et au nez légèrement dévié ne correspond pas aux canons hollywoodiens. A ses débuts en 1976, le producteur Dino de Laurentiis la juge même "trop laide" pour le remake de "King Kong".

Récits de femmes 

Née le 22 juin 1949 dans le New Jersey, Mary Louise Streep grandit dans une famille heureuse de la classe moyenne et découvre les joies de la scène au lycée.

Dotée d'une excellente mémoire et d'un don pour les accents, elle suit le master de théâtre de Yale.

A Broadway, elle jongle entre les rôles et se fait repérer par Hollywood. C'est Robert de Niro dans "Taxi Driver" qui l'a convainc de tenter le cinéma : "Je me suis dit que j'aimerais être une actrice de sa trempe quand je serai grande !".

"Consternée" par ses débuts à l'écran dans "Julia" (1977), elle s'entête et décroche sa première nomination aux Oscars dès son deuxième film dans "Voyage au bout de l'enfer" (1978), où elle contrebalance le récit masculin sur la guerre du Vietnam.

Elle contraste avec d'autres actrices en incarnant des femmes ordinaires, voire antipathiques, qui racontent une autre histoire du XXe siècle.

Dans "Kramer contre Kramer" - son premier Oscar (1979) - elle joue une mère qui quitte sa famille avant d'exiger la garde de son fils. Elle témoigne ainsi de la vie de millions d'Occidentales, déchirées entre leur foyer et leur besoin d'indépendance.

Aussi à l'aise dans le mélo - "La maîtresse du lieutenant français" (1981) - elle est inoubliable en rescapée de la Shoah dans "Le Choix de Sophie" (2e Oscar) et en Karen Blixen dans "Out of Africa" (1985).

La comédie contre l'obsolescence

A la quarantaine, voyant les propositions diminuer, elle ose la comédie "La mort vous va si bien" (1992). Trois ans plus tard, Clint Eastwood lui offre un de ses plus beaux rôles dans "Sur la route de Madison".

Même coup de maître en 2006 avec la comédie "Le Diable s'habille en Prada" qui lui permet, aux portes de la soixantaine, d'insuffler un élan extraordinaire à sa carrière. Totalement décomplexée, elle renoue avec la comédie musicale "Mamma Mia!" (2008) et décroche son troisième Oscar pour "La Dame de Fer".

"Loin de disparaître dans la traditionnelle obsolescence post-cinquantaine, elle a défié les conventions hollywoodiennes et atteint de nouveaux sommets", a écrit son biographe Michael Schulman. "Aucune actrice née avant 1960 n’obtient un rôle à Hollywood sans qu’il ait d'abord été refusé par Meryl".

Doyenne de l'élite progressiste hollywoodienne, ardente opposante de Trump, "Sainte Meryl" est poussée de son piédestal lorsqu'éclate #MeToo en 2017. "VOTRE SILENCE est LE problème", lui assène Rose McGowan, l'une des premières actrices à dénoncer Harvey Weinstein. Meryl Streep assure tout ignorer du comportement du producteur qu'elle qualifiait de "Dieu".

L'actrice a reversé ses cachets de "La Dame de Fer" à son projet de musée national de l'Histoire des femmes et levé 15 millions de dollars avec George Clooney pour soutenir la grève des acteurs et scénaristes en 2023.