Le Moyen-Orient, une alternative géopolitique pour l'Afrique

Une région du Moyen-Orient et de l'Afrique coopérative peut être une pierre angulaire pour relever les défis mondiaux (Fichier AFP)
Une région du Moyen-Orient et de l'Afrique coopérative peut être une pierre angulaire pour relever les défis mondiaux (Fichier AFP)
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Publié le Mercredi 06 septembre 2023

Le Moyen-Orient, une alternative géopolitique pour l'Afrique

Le Moyen-Orient, une alternative géopolitique pour l'Afrique
  • Familière des flux et reflux de la concurrence entre grandes puissances, l'Afrique s'est souvent retrouvée prise au piège des rivalités entre superpuissances
  • «Que ce soit en raison de ses richesses naturelles ou en tant que dernière frontière pour des alliances mondiales en mouvement, l'Afrique reste un pivot»

Familière des flux et reflux de la concurrence entre grandes puissances, l'Afrique s'est souvent retrouvée prise au piège des rivalités entre superpuissances. Ses cicatrices coloniales étaient à peine refermées que la guerre froide en a fait un champ de bataille idéologique. Et, bien que le rideau de ce conflit se soit refermé, l'histoire des grandes puissances qui se disputent leur influence ne s'est pas arrêtée, ce qui a souvent conduit à des guerres par procuration et à une instabilité inquiétante.

L'influence croissante de la Chine a ajouté une autre dimension au paysage géopolitique de l'Afrique en favorisant l'établissement de liens économiques et diplomatiques importants par le biais du commerce, des investissements et des projets d'infrastructure. Des débats sur les implications de cette présence ont refait surface, soulevant des inquiétudes au sujet du piège de la dette, de l'extraction des ressources et du néocolonialisme potentiel. Alors que la Chine investissait dans des projets d'infrastructure à grande échelle dans le cadre de son initiative intitulée «la ceinture et la route» afin d'améliorer la connectivité et le commerce, les analystes ont qualifié la relation entre l'Afrique et la Chine de «forme d'influence orientale».

Alors que l'Afrique semble sur le point de transformer ses ressources stratégiques en influence mondiale, c'est l'occasion de réfléchir aux avantages et aux inconvénients de ces associations et d'adopter une politique plus mesurée. C'est dans ce contexte qu'un plus grand engagement avec le Moyen-Orient – une région avec laquelle elle partage de nombreux points communs – prend tout son sens sur le plan stratégique.

Isaac Kwaku Fokuo Jr, directeur du Botho Emerging Markets Group, qualifie à juste titre l'Afrique de «Belle du bal» dans le ballet complexe de la géopolitique. Pour M. Fokuo, l'émergence de l'Afrique en tant qu'acteur clé de la géopolitique est inévitable. «Que ce soit en raison de ses richesses naturelles ou en tant que dernière frontière pour des alliances mondiales en mouvement, l'Afrique reste un pivot», observe-t-il. Il explique que, compte tenu de l'intensification de la polarisation mondiale, l'Afrique se trouve déchirée entre les puissances de l'Est et de l'Ouest, ce qui la pousse vers des alliés potentiels comme le Moyen-Orient.

Un plus grand engagement avec le Moyen-Orient – une région avec laquelle l’Afrique partage de nombreux points communs – est stratégique.

Ehtesham Shahid

Le continent possède les ingrédients essentiels pour devenir un acteur à long terme. Les plus importants d’entre eux sont d'énormes ressources naturelles et des avantages démographiques. Il ajoutera 796 millions de personnes à la main-d'œuvre mondiale et abritera la population la plus nombreuse et la plus jeune d'ici à 2050. Heureusement, le continent, par ailleurs discordant et infesté de conflits, a trouvé des synergies dans des domaines essentiels tels que celui de l'intégration économique, des partenariats stratégiques et de la transformation numérique.

Les intérêts géopolitiques des puissances orientales et occidentales se croisent toujours en Afrique, et la trajectoire de nombreuses nations africaines tend vers une influence mondiale accrue. Dans ce contexte, il existe un avantage stratégique à s'engager avec le Moyen-Orient pour contrebalancer une forte dépendance à l'égard de grandes puissances comme la Chine ou les États-Unis.

Les relations entre l'Afrique et le Moyen-Orient ne sont pas seulement plurielles; elles sont antérieures à la géopolitique contemporaine qui oppose l'Est et l'Ouest. En outre, elles recèlent des dimensions historiques, religieuses, économiques et culturelles. Les routes qui relient l'Afrique, l'Asie et l'Europe se croisent au Moyen-Orient. On estime que plus de 250 millions de personnes parlent arabe en Afrique.

Toutefois, la réalisation de ce potentiel nécessite un leadership, des investissements stratégiques, une coopération régionale et des partenariats internationaux équilibrés. Malgré les perspectives prometteuses de l'Afrique, les conflits intrarégionaux, la pauvreté généralisée et la corruption qui paralyse la croissance restent des obstacles importants. Il y a peut-être une solution à trouver dans le «Global South», une autre classification qui lie les deux régions.

L'Afrique semble destinée à devenir un acteur central dans les affaires internationales au cours des prochaines décennies, car les conditions sont réunies pour que le continent accélère son développement. L'abondance de ses ressources stratégiques, sa démographie favorable et ses perspectives de croissance attrayantes pourraient lui conférer une plus grande influence dans les affaires modernes. Les observateurs affirment également que la rivalité entre les États-Unis et la Chine et les efforts déployés pour parvenir à des émissions nettes nulles seront des catalyseurs essentiels pour transformer l'Afrique en un point d'appui géopolitique.

Il semble également que l'on ait graduellement pris conscience de la nécessité de trouver de plus en plus de solutions locales et régionales. La 15e enquête annuelle de l'Asda'a BCW sur la jeunesse arabe indique que près des deux tiers des jeunes du Conseil de coopération du Golfe, d'Afrique du Nord et des pays du Levant se disent «tout à fait ou plutôt favorables» au désengagement des États-Unis de la région.

En outre, une dynamique d'interdépendance énergétique est en jeu. Une analyse de l'Institut sud-africain des affaires internationales prévoit un passage de la production de combustibles fossiles à l'extraction de plusieurs minéraux «verts». Une part importante de ces gisements se trouve en Afrique. «Plusieurs études empiriques ont déjà examiné le potentiel des économies africaines à fournir des minéraux pour la transition énergétique», précise l’analyse.

Lorsque des régions tentent de trouver des solutions synergiques, elles collaborent en vue d'obtenir des avantages mutuels qui ne pourraient être obtenus individuellement. Plusieurs théories géopolitiques s'appliquent à ce contexte, notamment le réalisme, le libéralisme et le constructivisme. Robert Keohane et Joseph Nye ont avancé l'idée d'une interdépendance complexe dans les relations internationales pour décrire la nature émergente de l'économie politique mondiale. Cela signifie que les relations entre les États deviennent de plus en plus profondes et élaborées, comme on peut le constater en Afrique et au Moyen-Orient.

Toutefois, il ne faut pas oublier que l'Afrique, tout comme le Moyen-Orient, n'est pas un bloc monolithique. Les relations oscillent en fonction des contextes historiques, des motivations économiques, des alignements politiques et des visions des dirigeants. Negah Angha, membre du Conseil atlantique, résume le potentiel par ces termes: «Une région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord coopérative peut être une pierre angulaire pour relever les défis mondiaux et assurer la stabilité et la prospérité régionales.»

Cela est plus facile à dire qu'à faire, objectera-t-on; mais qui sait où les changements d'alliances géopolitiques nous mèneront au cœur de cette compétition entre grandes puissances qui semble vaine?

 

Ehtesham Shahid est un rédacteur et chercheur indien qui vit aux Émirats arabes unis. Twitter: @e2sham
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com