Jérusalem, Non défini: L'attachement affiché par Israël à défendre les druzes syriens s'accorde, de l'aveu même de certains de ses dirigeants, avec un but stratégique de long terme: l'affaiblissement de la Syrie.
A la suite de heurts intercommunautaires sanglants dans ce pays, Israël, qui occupe une partie de son territoire depuis 1967, a invoqué la protection de la minorité druze pour justifier plusieurs frappes, dont une le 3 mai à proximité du palais présidentiel à Damas.
Pour le Premier ministre Benjamin Netanyahu, il s'agissait d'adresser un "message clair": Israël ne permettra aucun "déploiement de forces [armées syriennes] au sud de Damas" ni aucune "menace" contre les druzes.
Dès mars, l'Etat hébreu avait menacé d'intervenir si le nouveau pouvoir qui a fait tomber Bachar al-Assad "s'en [prenait] aux druzes".
Toutefois, selon Andreas Krieg, maître de conférences au King's College de Londres, Israël n'est pas mu par "un souci altruiste": il "se sert [des druzes] comme d'un prétexte pour justifier son occupation militaire" en Syrie.
Dans une déclaration révélatrice des intentions d'Israël, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a affirmé que son gouvernement ne mettrait pas fin à la guerre déclenchée le 7 octobre 2023 par le mouvement islamiste palestinien Hamas à Gaza avant que "la Syrie [soit] démantelée".
"Pour contenir la situation", le président syrien par intérim, Ahmad al-Chareh, a confirmé mercredi "des discussions indirectes" avec Israël. Interrogée par l'AFP, la diplomatie israélienne n'a pas commenté.
- "Autonomie druze" -
Enferré depuis le 7-Octobre dans une guerre qui a largement débordé des frontières d'Israël, M. Netanyahu répète que son pays se bat pour sa survie et qu'il est déterminé à "changer le Moyen-Orient".
En 2015, alors membre de l'Institut d'études pour la sécurité nationale (INSS), son ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, avait défendu un morcellement de la Syrie en diverses entités ethno-religieuses, prévoyant une "autonomie druze dans le sud".
Le projet rappelle le découpage de la Syrie imposé dans l'Entre-deux-guerres par la France, alors puissance mandataire. Paris avait dû y renoncer sous la pression des nationalistes syriens, y compris druzes.
Grand voisin d'Israël au nord-est, la Syrie a participé à trois guerres israélo-arabes, en 1948-1949, 1967 et 1973.
La dernière a consacré la mainmise d'Israël sur la partie du Golan syrien conquise en 1967 (et annexée depuis 1981).
Dans la foulée de la chute de M. Assad, Israël a pris le contrôle de la zone démilitarisée sous contrôle de l'ONU au Golan et mené des centaines de frappes sur des cibles militaires en Syrie.
Objectif affiché: empêcher que les armes du pouvoir déchu ne tombent entre les mains des nouvelles autorités, issues de la mouvance islamiste, et dans lesquelles le gouvernement israélien voit un ennemi.
Les druzes, adeptes d'une religion syncrétique issue de l'islam chiite, sont présents surtout en Syrie, au Liban et en Israël.
Israël recense quelque 152.000 druzes, selon les dernières données disponibles. Ce chiffre inclut les 24.000 druzes habitant dans la partie annexée du Golan, dont moins de 5% ont la nationalité israélienne.
- Contrer la Turquie -
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), des affrontements avec les forces de sécurité du nouveau pouvoir fin avril ont fait 126 morts dans des zones majoritairement druzes et chrétiennes proches de Damas et dans le bastion druze de Soueïda (sud-ouest).
Après ces heurts, cheikh Hikmat al-Hajri, sommité religieuse druze syrienne, a réclamé l'envoi d'une force de protection internationale, et souscrit à une déclaration communautaire affirmant que les druzes constituent "une partie inaliénable" de la Syrie.
En Israël, des druzes ont participé à plusieurs manifestations réclamant que le gouvernement défende leurs coreligionnaires en Syrie.
Loyaux à Israël, les druzes sont surreprésentés dans l'armée et la police, par rapport à leur importance dans la population.
"Israël se sent redevable vis-à-vis des druzes et de leur engagement exceptionnel dans l'armée", note Efraïm Inbar, chercheur à l'INSS.
Selon lui, les défendre s'inscrit aussi dans la géopolitique recomposée de l'après-Assad où Israël "tente de protéger les minorités druze et kurde de la majorité sunnite et d'éviter que la Turquie n'étende son influence à la Syrie".
A rebours d'Israël, Ankara, aux prises avec son propre problème kurde, soutient les nouvelles autorités de Damas et ne veut surtout pas voir se consolider les positions kurdes dans le nord-est de la Syrie, le long de sa frontière.