Le casse-tête de l’Occident en Ukraine

Sur cette photo prise et diffusée par le service de presse présidentiel ukrainien le 13 octobre 2023, le président ukrainien Volodymyr Zelensky (G) rend hommage aux soldats des forces navales ukrainiennes tombés au combat dans le port d'Odessa. (AFP)
Sur cette photo prise et diffusée par le service de presse présidentiel ukrainien le 13 octobre 2023, le président ukrainien Volodymyr Zelensky (G) rend hommage aux soldats des forces navales ukrainiennes tombés au combat dans le port d'Odessa. (AFP)
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Publié le Dimanche 22 octobre 2023

Le casse-tête de l’Occident en Ukraine

Le casse-tête de l’Occident en Ukraine
  • Les défis politiques croissants empêchent de continuer à soutenir l’Ukraine de la même manière qu’au début
  • Un autre facteur important qui affecte négativement le maintien du soutien à l’Ukraine au même rythme et à la même vitesse est l’approche des élections dans plusieurs pays

Le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, a récemment déclaré que continuer à soutenir l’Ukraine était devenu « difficile [et] douloureux ». Il a toutefois souligné que si les alliés ne continuaient pas à soutenir le gouvernement de Kiev, la situation mondiale s’aggraverait. Il a ajouté : « Mais ce ne sera que plus difficile et plus douloureux si nous faiblissons ». Le ministre britannique a reconnu que les souffrances causées par la guerre en Ukraine étaient devenues une « grande chose ».

Cette déclaration ne révèle pas une nouvelle réalité mais représente une annonce officielle, qui n’est pas la première du genre, sur les répercussions de la guerre et ses conséquences pour les pays occidentaux. Cette réalité est évidente dans les obstacles qui ont surgi dans les capitales occidentales concernant le soutien continu à l’Ukraine.

Par exemple, lors de sa récente visite aux Etats-Unis, le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’a reçu qu’environ 325 millions de dollars d’aide militaire de la Maison Blanche, alors qu’il espérait recevoir une grande partie des 24 milliards de dollars d’aide américaine, qui sont toujours bloqués au Congrès en raison de différends budgétaires, et cette aide pourrait être temporairement suspendue.

Les défis politiques croissants empêchent de continuer à soutenir l’Ukraine de la même manière qu’au début. La raison principale en est l’exacerbation de l’inflation et du coût de la vie résultant des circonstances de la guerre.

Ce qui est encore plus important, c’est l’absence de toute perspective pour cette guerre, qu’il s’agisse d’une victoire ou même d’un progrès militaire considérable pour l’Ukraine, ou d’un règlement politique pour mettre fin à cette crise.

Il ne faut pas oublier que Kiev s’est également empêtré dans un conflit avec l’un de ses principaux soutiens, la Pologne, au sujet de la crise céréalière ukrainienne. L’interdiction polonaise d’importer des céréales a conduit Zelensky à accuser la Pologne de sous-estimer le soutien et les positions de l’Ukraine depuis le début de la guerre. Cela a incité le président Andrzej Duda à accuser l’Ukraine d’être comme une « personne qui se noie [...] capable de vous entraîner dans les profondeurs ».

Un autre facteur important qui affecte négativement le maintien du soutien à l’Ukraine au même rythme et à la même vitesse est l’approche des élections dans plusieurs pays, dont la Pologne elle-même, où les intérêts des agriculteurs ont joué un rôle dans la prolongation de l’interdiction des importations de céréales ukrainiennes. 

Il en va de même pour la Slovaquie, où les questions nationales représentent une carte électorale importante. Le facteur électoral joue également un rôle-clé au Royaume-Uni, où des élections sont prévues l’année prochaine, ainsi qu’aux États-Unis, où les Républicains tentent d’utiliser le soutien à l’Ukraine pour saper la politique du président Biden.

"Le casse-tête des gouvernements occidentaux et de l’Ukraine consiste en partie à convaincre les électeurs qu’il ne s’agit pas seulement d’un conflit ukraino-russe, mais d’une question de défense des peuples européens et de protection de leurs intérêts contre une menace russe potentielle, du point de vue des capitales occidentales, avec un aspect moral dont tout le monde devrait supporter les coûts." - Dr Salem AlKetbi

Le casse-tête des gouvernements occidentaux et de l’Ukraine consiste en partie à convaincre les électeurs qu’il ne s’agit pas seulement d’un conflit ukraino-russe, mais d’une question de défense des peuples européens et de protection de leurs intérêts contre une menace russe potentielle, du point de vue des capitales occidentales, avec un aspect moral dont tout le monde devrait supporter les coûts.

Cependant, l’impact de ce discours semble varié parmi les populations des pays occidentaux, d’autant plus que le facteur temps joue un rôle important dans l’évolution des attitudes publiques et de l’humeur générale, qui érode de plus en plus le soutien à la guerre, y compris en Ukraine.

Par exemple, en Allemagne, on assiste à une montée politique de l’extrême droite qui alimente des sentiments croissants contre la guerre en Ukraine. En outre, les Allemands ont de plus en plus le sentiment que les sanctions imposées à la Russie nuisent aux intérêts de leur pays. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a reconnu que la plupart des Allemands s’interrogent sur l’utilité du soutien de leur gouvernement à l’Ukraine. Dans une déclaration à la presse, elle a déclaré : « De nombreuses personnes aux États-Unis se posent la question suivante : « L’Ukraine est assez éloignée de nous, pourquoi est-elle importante pour nous ? ». C’est vrai, non seulement aux États-Unis, mais aussi ici en Allemagne ». Certains sondages d’opinion révèlent que la moitié des Allemands pensent que les sanctions nuisent davantage à l’Allemagne qu’à la Russie. L’envoi d’équipements militaires lourds à l’Ukraine suscite également de vives divergences.

En plus de ce qui précède, on observe des changements négatifs dans l’opinion publique de certains pays européens, où les doutes grandissent quant aux motivations et au déroulement de la guerre dans des pays comme la Hongrie, la Slovaquie et la Bulgarie.

Officiellement, l’Europe et l’Occident se sont engagés à continuer à soutenir l’Ukraine. Les dirigeants de l’Union européenne ont annoncé, lors de leur sommet à Bruxelles en juin dernier, qu’ils prendraient des engagements à long terme pour renforcer la sécurité de l’Ukraine. Le Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, a souligné que le soutien militaire à l’Ukraine devait s’inscrire dans la durée, malgré les doutes exprimés par certains dirigeants de l’UE, tels que le Premier ministre roumain Marcel Ciolacu, qui a demandé que des mesures soient prises si la Russie remportait le conflit en Ukraine. De même, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a déclaré à la fin du mois d’août que l’Ukraine ne serait pas en mesure de vaincre la Russie. En outre, on ne s’attend pas à ce que les États-Unis abandonnent complètement leur soutien à l’Ukraine après toute l’aide financière et militaire qu’ils ont apportée à Kiev. Toutefois, il est possible que l’on s’oriente vers un règlement politique de la crise si un président républicain entre en fonction alors que le conflit se poursuit.

D’un point de vue populaire, il est important de noter qu’il existe un véritable dilemme dans le maintien du consensus existant entre les pays occidentaux sur l’idée de soutenir l’Ukraine.

Le mécontentement croissant, qui s’intensifie progressivement, pourrait atteindre le point de conflit d’intérêts entre certains pays et leurs positions internes, d’une part, et le maintien du soutien à l’Ukraine, d’autre part. Dans ce cas, la cohésion d’un bloc international comme l’Union européenne pourrait être en jeu.

En outre, l’alliance euro-américaine pourrait également être menacée, car il est de plus en plus difficile de concilier les tendances de l’opinion publique d’un côté et le soutien à l’Ukraine de l’autre, en particulier si la situation militaire se poursuit sans que l’Ukraine ne fasse de progrès considérables. Sans parler de la possibilité que la Russie réussisse à repousser l’offensive ukrainienne, à modifier l’équilibre de la bataille et à prendre le contrôle d’une plus grande partie du territoire ukrainien.

Dr Salem AlKetbi est un politologue émirati. Il a été candidat au Conseil national fédéral.

X : @salemalketbieng

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.