Les citoyens iraniens ne se sentent pas en sécurité chez eux

Les citoyens iraniens estiment que les politiques du régime au niveau local et régional ont entraîné pauvreté et chômage. (AFP)
Les citoyens iraniens estiment que les politiques du régime au niveau local et régional ont entraîné pauvreté et chômage. (AFP)
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Publié le Mercredi 06 septembre 2023

Les citoyens iraniens ne se sentent pas en sécurité chez eux

Les citoyens iraniens ne se sentent pas en sécurité chez eux
  • Selon le sociologue Amir Mahmoud Harirchi, un Iranien sur trois souffre de dépression et de troubles mentaux
  • Les autorités iraniennes accusent les médias ou les ennemis du pays de diffamer l'Iran et de donner au monde une image erronée d'un pays en proie à l'insécurité

Les gens doivent se sentir en sécurité pour que les sociétés progressent et restent stables. Ces deux facteurs permettent aux individus de se concentrer sur les contributions ou les services qu'ils sont susceptibles de fournir pour favoriser le succès de leur patrie ainsi que la production humaine mondiale.

À l'inverse, le sentiment d'insécurité affecte la société de multiples façons. Les pays qui souffrent de guerres civiles ou d'agressions étrangères sont bien conscients de la valeur de la sûreté et de la sécurité – du fait de leur absence. Ils travaillent sans relâche, par tous les moyens possibles, pour parvenir à la sécurité personnelle et sociale. La situation se complique lorsqu'une société estime qu'elle n'est pas en sécurité alors que l'État et les institutions gouvernementales se présentent comme un modèle du genre, affirmant qu'ils contribuent à la réalisation de ces facteurs clés dans la zone géographique qu'ils contrôlent, comme c'est le cas du modèle iranien.

Face à l'augmentation des vols et de la criminalité, les Iraniens achètent des armes pour se défendre, selon le journal Javan. La possession d'une arme à feu sans permis est un crime en Iran. Or, l'achat d'armes illégales est le seul moyen possible d'y accéder pour se défendre. Certains Iraniens cherchent à se procurer des armes à feu en ligne, malgré les difficultés qu'ils rencontrent.

Le rédacteur en chef du journal écrit: «Lorsque j'ai appelé un numéro de téléphone supposé appartenir à une annonce pour l'achat d'un pistolet Browning, le marchand a affirmé qu'il vivait dans l'une des villes de l'ouest de l’Iran et que, de là, il vendait des pistolets dans tout le pays.» En ce qui concerne la manière d'obtenir les armes à feu et de transférer l'argent, les criminels se rapprochent de leur objectif. La personne avec laquelle je me suis entretenu m'a dit qu'elle percevrait un million de tomans à l'avance et 24 millions de tomans au moment de la livraison de l'arme [1 toman = 0,00022 euro]. Le point important dans ces affaires est le dépôt de la somme initiale sur un compte bancaire fourni par le marchand à l'acheteur. Dès que l'argent est déposé sur le compte, les marchands ne répondent plus aux appels de l'acheteur. Le criminel – le marchand d'armes – est donc parvenu à ses fins et l'acheteur n’a plus de recours. Il ne peut pas porter plainte puisqu'il sait pertinemment qu'il sera jugé pour recel d'armes. Il décide donc d'oublier la somme qu'il a versée au départ.»

Compte tenu de cet exemple limpide de risque financier, pourquoi les citoyens iraniens sont-ils encore prêts à risquer leur argent durement gagné pour avoir accès à des armes à feu? En 2022, le Global Peace Index a classé l'Iran au 141e rang sur 163 pays dans le monde, ce qui reflète le faible sentiment de sécurité de la société iranienne. Selon le journal iranien Shargh, le nombre de meurtres a augmenté au cours de l'année écoulée. Le général de brigade Mohammed Ghanbari, chef de l'administration des enquêtes criminelles dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, a enregistré 543 décès en quarante-quatre jours, soit une moyenne de 12 décès par jour entre le 16 mars et le 28 avril 2022.

Le taux de vol, quant à lui, a bondi de 340% entre 2016 à 2021. Il a atteint plus d’1,4 million d'incidents en 2021, avec plusieurs signalements relatifs aux vols de plaques d'égout, de câbles électriques et de communication, ainsi que de panneaux de signalisation. De son côté, le journal fondamentaliste Javan a déclaré en février 2017 que les citoyens iraniens possédaient plus de 3 millions d'armes.

En 2015, selon une étude nationale sur les conditions sociales, culturelles et morales de la société iranienne, seulement 52% des personnes interrogées ont déclaré se sentir en sécurité. Le sondage susmentionné montre à quel point les normes morales de la société se sont détériorées aux yeux des citoyens. Environ 72% des individus sollicités ont déclaré que le mensonge était répandu dans la société, 65% ont estimé que l'hypocrisie et la prétendue piété prévalaient, 68% ont déclaré que la fraude et la tromperie étaient courantes, tandis que 66% ont indiqué que la flatterie était utilisée comme moyen de persuasion. Par ailleurs, 52% des personnes interrogées estiment que la méfiance est monnaie courante et 55% se plaignent d'une forme d’usure au sein de la société.

«Le régime iranien a une définition de la sécurité différente de celle de ses citoyens.»

Mohammed al-Sulami

Selon le sociologue Amir Mahmoud Harirchi, un Iranien sur trois souffre de dépression et de troubles mentaux. Gholamhossein Mohseni Ejei, chef du pouvoir judiciaire iranien, a reconnu que le vol de sacs et de téléphones portables mettait en péril la sécurité de la société, et que les Iraniens s'en préoccupaient désormais.

Pour sa part, le journal Iran, porte-parole du gouvernement iranien, a fait état dans un article intitulé «J'ai peur de cette rue» d’un sentiment d'insécurité croissant qu’il considère comme endémique. Il cite plusieurs cas d'insécurité dans les rues, notamment les vols de téléphones portables et de sacs par les motocyclistes, très fréquents dans la capitale, Téhéran.

En outre, certains voleurs attaquent leurs victimes à l'aide d'objets tranchants et leur infligent des blessures graves. Le journal précise également que ces faits ont conduit les individus agressés à éviter autant que possible les espaces publics. Leur état psychologique a été considérablement affecté, ce qui les a amenés à consulter des psychiatres. Le journal ajoute toutefois: «Si nous n'avons pas nous-mêmes subi de telles attaques, nous connaissons des gens qui ont vécu cette expérience douloureuse. Par ailleurs, les autorités iraniennes détiennent des usagers des médias sociaux accusés de publier des contenus inappropriés et de promouvoir des propos infondés et non documentés qui conduisent à la propagation de l'insécurité psychologique dans la société.»

Le régime iranien a une définition de la sécurité différente de celle de ses citoyens. Il estime que la force militaire et les armes sont essentielles pour assurer la sécurité de la société, justifiant ainsi ses échecs à différents niveaux sous le prétexte du maintien de la sécurité. En outre, le régime considère que son intervention militaire en Syrie et dans d'autres parties de la région ainsi que sa dilapidation des fonds iraniens sont essentielles pour assurer la sécurité du pays.

Les citoyens iraniens, à l'inverse, tiennent les politiques du régime au niveau local et régional pour responsables de la pauvreté, du chômage, de l'inflation et de la fuite des capitaux du pays. En outre, ils estiment que la crainte d'être arrêté en raison de leur choix de mode de vie, du port de tenues inappropriées et de l'expression d'opinions est également une raison de se sentir en danger. Le sentiment d'insécurité, entre autres, a incité des millions d'Iraniens à fuir le pays depuis la révolution, ce qui a entraîné une hausse récente des taux d'immigration.

Cela prouve que le niveau d'insécurité augmente. Les autorités iraniennes accusent les médias ou les ennemis du pays de diffamer l'Iran et de donner au monde une image erronée d'un pays en proie à l'insécurité. Les filles ne se sentent pas en sécurité pour diverses raisons, notamment les attaques à l'acide qui ont commencé il y a plusieurs années et les cas récents d'empoisonnement d'écolières. Le nouveau projet de loi qui impose davantage de restrictions en matière de port du hijab a renforcé le sentiment d'insécurité des femmes iraniennes.

Nous avons mis en lumière les incidents vécus par les citoyens iraniens et leur sentiment d'insécurité au niveau individuel et sociétal. Les appareils politiques et de sécurité iraniens n'ont pas réussi à résoudre ce problème croissant, n'y accordant pratiquement aucune attention. Pourtant, la multiplication d'incidents tels que les cambriolages et les vols ne fera qu'aggraver les problèmes sociaux. À la lumière du changement de la politique étrangère iranienne et de la proposition du régime de Téhéran de créer un organisme de sécurité maritime dans le Golfe, les dirigeants iraniens vont-ils désormais prêter attention à ce problème de sécurité interne de plus en plus grave? Il faudra attendre de voir s'ils donneront la priorité au front intérieur plutôt qu'au front régional dans la période à venir.

 

Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com