Il faudrait en faire davantage pour attirer les femmes vers les sciences, selon les lauréates du Moyen-Orient

La région du Golfe ouvre la voie aux femmes scientifiques, mais il reste encore un long chemin à parcourir, selon les experts. (AFP)
La région du Golfe ouvre la voie aux femmes scientifiques, mais il reste encore un long chemin à parcourir, selon les experts. (AFP)
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Publié le Samedi 05 mars 2022

Il faudrait en faire davantage pour attirer les femmes vers les sciences, selon les lauréates du Moyen-Orient

  • Les femmes ont une contribution essentielle à apporter aux sciences et aux technologies, selon les lauréates de l'Expo 2020 de Dubaï
  • Si les pays du Golfe pavent la voie, dans le reste de la région arabe, les femmes ont encore un long chemin à parcourir dans le domaine des STIM.

DUBAI : Malgré les progrès récents au Moyen-Orient, les femmes restent largement sous-représentées dans les domaines de la science et de l'ingénierie dans toute la région et il faut en faire davantage pour changer cela, affirment les experts.

Selon le rapport de l'UNESCO sur la science pour 2021, seuls 33 % des chercheurs dans le monde sont des femmes. Si la parité entre les genres a presque été atteinte dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, au niveau du doctorat et au début de la carrière scientifique, il existe encore des disparités considérables entre les disciplines et entre les pays.

Le plafond de verre demeure une réalité pour les femmes travaillant dans la recherche, où la proportion de femmes diminue à mesure qu'elles avancent dans leur carrière, et cela en raison de nombreux obstacles. Bien que la région du Golfe pave la voie aux femmes, le chemin à parcourir est encore long puisqu'elles ne représentent que 40 % des personnes travaillant dans les STIM.

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Seuls 33 % des chercheurs dans le monde sont des femmes. (AFP)

Nura Adam Mohammed, de l'université du Qatar, estime que pour rétablir l’équilibre, la collaboration de nombreux groupes, organisations et parties de la société, notamment les familles, les écoles, les universités et les gouvernements, est nécessaire.

« L'autonomisation des femmes dans le domaine des sciences devrait commencer très tôt, dès l'école primaire: organiser des événements publics, accueillir les jeunes filles aux journées portes ouvertes de la recherche et, plus tard, les recevoir comme bénévoles dans le domaine de la recherche », a-t-elle déclaré.

Ses travaux portent sur le développement d'outils thérapeutiques non conventionnels pour prévenir le diabète et les maladies cardiovasculaires, ce qui pourrait contribuer à résoudre l'un des plus grands problèmes de santé de la région.

Nura Adam Mohammed était l'une des 14 femmes arabes mises à l’honneur le mois dernier lors de la cérémonie L'Oréal-UNESCO pour les femmes de science au Moyen-Orient, un événement spécial organisé par l'Expo 2020 de Dubaï en reconnaissance du travail de femmes exceptionnelles dans les domaines des sciences de la vie, des sciences physiques, des mathématiques et de l'informatique.

Le projet s’inscrit dans le cadre d'une initiative mondiale qui, depuis sa création en 1998, a reconnu plus de 3 900 chercheuses et 122 lauréates de plus de 110 pays et régions.

Parmi les lauréates de cette année, Ghada Dushaq, de l'université de New York à Abu Dhabi, est l'une des cinq femmes de la région du Golfe mises à l’honneur lors de l'événement.

Elle a déclaré qu'elle espérait inciter une nouvelle génération de femmes arabes à se lancer dans les sciences, un secteur dans lequel elles restent sous-représentées, et qu'elle s'intéressait particulièrement aux domaines de la photonique et de l'optique, où la proportion de femmes est inférieure à la moyenne.

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Le plafond de verre demeure une réalité pour les femmes travaillant dans la recherche. (AFP)

« Les idées scientifiques novatrices et révolutionnaires nécessitent les talents des femmes et des hommes », a-t-elle déclaré. « Atteindre l'égalité des genres dans les sciences permettra l’émergence d’une approche équilibrée et globale du leadership ainsi que d’une génération d’enfants avec un meilleur niveau d’éducation ».

Mme Dushaq a été récompensée pour ses recherches post-doctorales sur les nouveaux matériaux et structures en photonique, visant à améliorer la vitesse, la capacité et la précision des technologies conventionnelles. Elle a déclaré que ces recherches pouvaient influencer, voire même révolutionner, d'autres secteurs tels que la santé, l'espace, la mobilité et la sécurité.

Arij Yehya, également de l'université du Qatar, a été mise à l’honneur lors de l’événement. Elle a affirmé qu'il fallait en faire davantage pour encourager les femmes à poursuivre une carrière scientifique. En effet, les avancées réalisées par leurs travaux peuvent s'étendre bien au-delà de la communauté scientifique.

« Les femmes ont des rôles sociaux importants, notamment celui de fournir des soins », a-t-elle déclaré. « Le fait que davantage de femmes travaillent dans le domaine des sciences peut avoir un impact sur la communauté grâce à leurs rôles sociaux. Les femmes dans les sciences peuvent paver la voie à une société plus prospère ».

Les recherches de Mme Yehya visent à identifier les facteurs qui contribuent à creuser l'écart entre les genres en matière de traits de personnalité, afin d'évaluer de manière plus précise les politiques actuelles et futures en matière de genre.

Les travaux d'investigation de cette nature sont complexes et nécessitent une approche scientifique rigoureuse, mais la plupart des travaux sur le sujet proviennent d'autres parties du monde et il est temps de combler cette lacune dans la région, a-t-elle déclaré, faisant référence à la découverte de liens entre la personnalité et la culture.
 

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1. Ghada Dushaq, chercheuse à l'université de New York à Abu Dhabi.

2. Halima Al-Naqbi, universitaire à l'Université Khalifa, Abu Dhabi

3. Hend Al-Qaderi, chargée de cours à l'école de médecine dentaire de Harvard 

4. Nura Adam Mohammed, chercheuse à l'université du Qatar

5. Arij Yehya, chargée de cours à l'université du Qatar

 

« Cela pourrait empêcher la pleine compréhension de la complexité de nos cultures et de nos individus », a déclaré Yehya. « Paver la voie aux jeunes générations nous donnera l’opportunité de nous appuyer sur les résultats précédents et d'en apprendre davantage sur nos identités culturelles et individuelles ».

Halima Alnaqbi, universitaire à l'Université Khalifa, est originaire d'une petite ville des Émirats arabes unis où le mariage tribal est considéré comme une tradition. Elle se souvient qu’enfant, elle avait noté que certaines personnes de sa communauté souffraient de maladies rares qui résultaient principalement de la génétique.

Elle a appris par la suite que davantage de maladies rares apparaissaient dans les communautés ayant certaines pratiques culturelles, telles que le mariage consanguin, ou mariage entre parents proches, qui augmentent la prévalence des troubles récessifs.

« Devenue ingénieure biomédicale, dit Alnaqbi, j'ai canalisé ma motivation profonde pour résoudre des défis qui avaient un impact sur ma société et sur le monde.

« J'ai particulièrement consacré mes connaissances et mes compétences à l'étude des gènes qui régissent le système immunitaire (immunogénétique) dans la population arabe. Ces gènes jouent un rôle important dans le développement des maladies auto-immunes ».

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« L'autonomisation des femmes dans les sciences devrait commencer dès les premières étapes », a déclaré Nura Adam Mohammed, de l'université du Qatar. (AFP)

Ses recherches sur les moyens d’améliorer la transplantation d'organes pour mieux inclure les groupes ethniques arabes sont cruciales pour la région. En raison du manque de données génomiques sur la population arabe, les systèmes de santé des nations sous-représentées sont confrontés à des défis uniques qui affectent la capacité de la région à intégrer les résultats de la recherche en génétique moléculaire dans les applications cliniques.

« Les donneurs d'organes non-apparentés sont identifiés à partir de millions de volontaires via des réseaux régionaux », a déclaré Alnaqbi. « Cependant, il n'existe aucune contribution arabe à ces registres internationaux. Mes recherches visent à combler cette lacune et à établir un cadre préliminaire pour la sélection des donneurs pour les transplantations d'organes et de moelle osseuse ». 

Les femmes représentant désormais la moitié des ingénieurs aux Émirats arabes unis, Alnaqbi explique par ailleurs que le domaine des sciences est en train de changer dans le pays, que les obstacles qui jonchaient autrefois le parcours des femmes ont été levés et que l'image d’une industrie dominée par les hommes est dépassée.

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Ghada Dushaq, de l'université de New York à Abu Dhabi, a déclaré qu'elle espérait inspirer une nouvelle génération de femmes arabes à se lancer dans les sciences. (AFP)

« Le stéréotype selon lequel le travail dans les sciences, et en particulier l'ingénierie, est réservé aux hommes est en train de changer », a déclaré Mme Alnaqbi. « En science, la recherche se fait en équipe, et la diversité des genres et des spécialisations dans toute équipe est particulièrement importante, puisqu’elle encourage l'innovation.

« Les femmes ont déjà démontré leurs compétences dans les sujets scientifiques, puisque plus de la moitié des diplômés en ingénierie aux EAU sont des femmes ».

Hend Alqaderi, originaire du Koweït et maître de conférences à l'école de médecine dentaire de Harvard, pense également qu'il est crucial d'engager davantage de femmes dans les sciences et a déclaré que ses expériences personnelles pendant la pandémie n'ont fait que renforcer son opinion.


« Le fait d'avoir plus de femmes dans la recherche scientifique peut apporter de la diversité et rendre la recherche plus efficace et plus précise, ce qui a un impact à la fois sur les hommes et sur les femmes », a-t-elle déclaré.

Ses recherches portent sur l'utilisation des fluides oraux comme outil non invasif pour le diagnostic précoce et la gestion de la COVID-19 et d'autres maladies inflammatoires. Ces travaux ont une signification très personnelle pour elle, puisqu'elle a été incitée à les poursuivre après le décès soudain de son père des suites du coronavirus.

« Après le choc de la perte de mon père, j’étais curieuse de comprendre comment fonctionne le système immunitaire et pourquoi certaines personnes ne présentent aucun symptôme alors que d'autres ont besoin de soins hospitaliers et d'autres encore y laissent leur vie », a déclaré Alqaderi.

« J'ai de l'expérience dans l'étude des biomarqueurs salivaires et je voulais élargir mes connaissances. J’ai donc décidé d'étudier la réponse immunitaire dans la cavité buccale, sachant qu’elle peut conduire à une nouvelle compréhension de la COVID-19 et à l'élaboration de nouvelles stratégies de prévention. J'espère que mes découvertes pourront aider d'autres familles comme la mienne et prévenir d'autres décès ». 

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Le stéréotype selon lequel le travail dans les sciences, et en particulier l'ingénierie, est réservé aux hommes est en train de changer », a déclaré Halima Alnaqbi, universitaire à l'Université Khalifa. (Shutterstock)

Les travaux de Mme Mohammed sur les outils thérapeutiques destinés à prévenir le diabète et les maladies cardiovasculaires pourraient s'avérer vitaux étant donné que le nombre de personnes atteintes de diabète dans le monde tourne autour de 425 millions et devrait atteindre 628 millions d'ici 2045.

Elle développe des produits nano-pharmaceutiques capables non seulement de trouver des médicaments pour traiter le diabète, mais également de minimiser les complications cardiovasculaires associées à cette maladie, qui est l'une des plus répandues dans la région.

« Cette recherche suscite une attention nationale et internationale, d'autant plus que le monde évolue vers l'administration ciblée de médicaments, la médecine personnalisée et les technologies des cellules souches », a déclaré Mohammed.

« J'espère mettre au point des nanoporteurs dotés de propriétés protectrices qui pourraient améliorer l'efficacité du médicament. J’espère également développer de meilleurs modèles cellulaires et tissulaires in vitro qui représentent mieux le diabète et les complications cardiovasculaires associées grâce à l'utilisation des technologies des cellules souches."

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


La France se dit « prête à concourir à la sécurité des distributions alimentaires » à Gaza

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. (Photo AFP)
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. (Photo AFP)
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  • La France, ainsi que l'Europe, "se tiennent prêtes à contribuer à la sécurité des distributions alimentaires" dans la bande de Gaza en guerre, a déclaré samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.
  • Le ministre n’a pas précisé la nature exacte de cette assistance, mais a exprimé sa "colère" face aux "500 personnes" ayant perdu la vie lors de distributions alimentaires récentes à Gaza.

PARIS : La France, ainsi que l'Europe, "se tiennent prêtes à contribuer à la sécurité des distributions alimentaires" dans la bande de Gaza en guerre, a déclaré samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.

Cette initiative viserait à répondre à la préoccupation israélienne concernant le détournement de l’aide humanitaire par des groupes armés, faisant allusion au Hamas sans le nommer.

Le ministre n’a pas précisé la nature exacte de cette assistance, mais a exprimé sa "colère" face aux "500 personnes" ayant perdu la vie lors de distributions alimentaires récentes à Gaza.

Israël a partiellement assoupli fin mai un blocus total imposé depuis début mars, qui avait provoqué de graves pénuries de nourriture, médicaments et autres biens essentiels.

Un mécanisme de distribution piloté par la "Fondation humanitaire de Gaza" (GHF), soutenue par Israël et les États-Unis, a été mis en place, mais ses opérations ont donné lieu à des scènes chaotiques et meurtrières.

Selon le ministère de la Santé du Hamas, près de 550 personnes ont été tuées et plus de 4 000 blessées dans les files d’attente depuis le lancement des opérations de la GHF fin mai.

La Défense civile de Gaza a par ailleurs rapporté vendredi la mort de 80 personnes dans des frappes ou tirs israéliens, dont 10 tuées alors qu’elles attendaient de l’aide humanitaire. L’armée israélienne nie catégoriquement avoir tiré sur des civils dans ces circonstances et examine ces allégations.

Après un cessez-le-feu entré en vigueur mardi avec l’Iran, le chef d’état-major israélien, le lieutenant-général Eyal Zamir, a indiqué que l’armée restait concentrée sur Gaza "pour ramener les otages et démanteler le régime du Hamas".

La guerre a débuté avec une attaque sans précédent du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a fait 1 219 morts israéliens, principalement civils, selon un décompte AFP basé sur des données officielles. Parmi eux, 49 personnes ont été enlevées à Gaza, dont 27 déclarées mortes par l’armée israélienne.

De leur côté, plus de 56 412 Palestiniens, majoritairement civils, ont péri lors des représailles militaires israéliennes dans la bande de Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas, chiffres jugés fiables par l’ONU.


La France entend jouer "un rôle central" sur le nucléaire iranien

Des amendements ont assoupli le texte initial, en permettant que les drapeaux puissent être hissés à proximité des mairies ou sur leurs toits et surtout en exemptant les communes de moins de 1 500 habitants de l'obligation de pavoisement, pour des raisons financières (Photo, AFP).
Des amendements ont assoupli le texte initial, en permettant que les drapeaux puissent être hissés à proximité des mairies ou sur leurs toits et surtout en exemptant les communes de moins de 1 500 habitants de l'obligation de pavoisement, pour des raisons financières (Photo, AFP).
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  • "Si l'Iran refuse de négocier de bonne foi un encadrement strict et durable de son programme nucléaire,a déclaré le ministre.
  • Le mécanisme de réimposition des sanctions expirera le 18 octobre 2025.

PARIS : La France et ses principaux partenaires européens entendent jouer "un rôle central" dans les négociations sur le nucléaire iranien, en raison notamment de leur capacité à réimposer des sanctions contre Téhéran, a averti samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.

"Si l'Iran refuse de négocier de bonne foi un encadrement strict et durable de son programme nucléaire, la France, avec ses partenaires européens, peut, par une simple lettre, rétablir l'embargo mondial sur les armes, les équipements nucléaires, ainsi que sur les banques et les assurances", a-t-il déclaré.

Ce pouvoir de réactiver les sanctions appartient à chacun des signataires de l'accord de Vienne de 2015, appelé JCPOA ("Joint Comprehensive Plan of Action"), à savoir la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Chine et la Russie ,à l’exclusion des États-Unis, qui s'en sont retirés en 2018 sous la présidence de Donald Trump.

"C'est pourquoi nous jouons un rôle central dans ces négociations", a insisté M. Barrot, exprimant le souhait qu’un dialogue s’instaure entre l’Iran et les États-Unis, "qui tienne compte des exigences qui sont les nôtres" concernant l’activité nucléaire iranienne, soupçonnée par une grande partie de la communauté internationale de viser l’arme nucléaire, ce que Téhéran dément.

Le mécanisme de réimposition des sanctions expirera le 18 octobre 2025.

M. Barrot a également souligné que "ces derniers mois, le sort de nos otages a été au cœur des discussions avec les autorités iraniennes", en référence à Cécile Kohler, 40 ans, et à son compagnon Jacques Paris, arrêtés en mai 2022 à la fin d’un voyage touristique en Iran et accusés d’espionnage. Paris les considère comme des "otages" et réclame leur libération immédiate.

"J'ai demandé récemment qu’un contact soit établi avec eux, par notre consulat ou leurs familles. J’attends toujours une réponse claire, et je dois dire que je commence à m’impatienter", a-t-il ajouté. "Nous continuerons à accentuer la pression. Et comme vous avez sans doute pu le constater, nous disposons de leviers considérables vis-à-vis de l'Iran", a conclu le ministre.


Au Maroc, un projet ambitieux pour connecter le Sahel à l'Atlantique

Construction du port atlantique de Dakhla, situé à 40 km au nord de la ville de Dakhla, dans une zone relevant de la compétence de la commune rurale d'El-Argoub à Dakhla, dans le Sahara occidental contesté, principalement contrôlé par le Maroc, le 26 mai 2025 (Photo par Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
Construction du port atlantique de Dakhla, situé à 40 km au nord de la ville de Dakhla, dans une zone relevant de la compétence de la commune rurale d'El-Argoub à Dakhla, dans le Sahara occidental contesté, principalement contrôlé par le Maroc, le 26 mai 2025 (Photo par Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
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  • L'« Initiative Atlantique », annoncée en novembre 2023 par le roi du Maroc, vise à donner au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, tous enclavés, un accès à l'océan.
  • Cette annonce intervient dans un contexte géopolitique mouvant : entre 2020 et 2023, des coups d'État ont frappé ces trois pays.

MAROC : Le projet colossal de permettre aux pays du Sahel d'accéder à sa façade atlantique via des milliers de kilomètres de corridors logistiques terrestres est poursuivi par le Maroc, non sans défis, dans une région en pleine recomposition et minée par les violences jihadistes.

L'« Initiative Atlantique », annoncée en novembre 2023 par le roi du Maroc, vise à donner au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, tous enclavés, un accès à l'océan. Un projet qui, selon Mohammed VI, « transformera substantiellement l'économie de ces pays et de toute la région ».

Rabat ferait ainsi d'une pierre plusieurs coups : étendre son influence en Afrique, développer le territoire disputé du Sahara occidental dont la majeure partie est contrôlée par le Maroc mais revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l'Algérie, et damer le pion à Alger dont les relations avec le Mali, le Niger et le Burkina se sont dégradées.

Cette annonce intervient dans un contexte géopolitique mouvant : entre 2020 et 2023, des coups d'État ont frappé ces trois pays, et les régimes militaires qui y ont pris le pouvoir ont tourné le dos à l'Occident pour se rapprocher de la Russie.

Au même moment, certaines décisions de l'Union africaine et d'organismes régionaux comme la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) contribuaient à isoler les nouveaux régimes.

Or, fin avril à Rabat, le ministre des Affaires étrangères du Niger, Bakary Yaou Sangaré, a affirmé que le Maroc était « l'un des tout premiers pays auprès de qui on a trouvé la compréhension, au moment où la CEDEAO et d'autres pays étaient sur le point de nous livrer la guerre ».

Au regard de la situation, « l'initiative royale est une aubaine pour nos pays », a-t-il assuré après avoir été reçu par Mohammed VI en compagnie des ministres des Affaires étrangères du Burkina et du Mali. 

Actuellement, pour ses échanges commerciaux, l'AES s'appuie sur des ports situés dans plusieurs pays de la CEDEAO (Bénin, Togo, Sénégal, Côte d'Ivoire, Ghana), mais les tensions régionales peuvent compliquer l'accès à ces ports.

Le projet intervient également à un moment où les relations entre l'AES et son voisin algérien se tendent : les pays de l'alliance ont récemment rappelé leurs ambassadeurs à Alger, accusant les autorités algériennes d'avoir abattu un drone malien.

En outre, selon Beatriz Mesa, professeure à l'université internationale de Rabat, les mécanismes sécuritaires européens tels que Barkhane ou Takuba ont « échoué » en Afrique.

Le Maroc, qui se positionne dans une « triangularité » avec l'Afrique et l'Occident, est en train de « rentabiliser ces échecs en se positionnant comme partenaire fiable de l'Europe dans le Sud global », analyse-t-elle.

Après les grandes annonces, reste la question de la faisabilité et du financement. 

D'après la revue Afrique(s) en mouvement, qui réunit plusieurs experts, des pays comme les États-Unis, la France ou des États du Golfe, qui ont publiquement soutenu l'initiative marocaine, sont de potentiels bailleurs pour ce projet colossal.

Selon Abdelmalek Alaoui, président de l'Institut marocain d'intelligence stratégique (Imis), un réseau terrestre entre le Maroc et le Tchad, qui passerait par la Mauritanie, pourrait coûter près d'un milliard de dollars (environ 930 millions d'euros).

Le tracé reste pour l'instant flou, mais le Tchad, qui semble « un peu en retrait » dans le projet par rapport à l'AES, est distant de quelque 3 000 kilomètres du Maroc, souligne Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES). 

Il y a donc « encore des étapes à franchir », puisque pour l'instant, le « réseau routier ou ferroviaire n'existe pas », dit cet expert nigérien, relevant aussi le manque de parc automobile dans la région.

Selon Rida Lyammouri du Policy Center for the New South, un groupe de réflexion marocain, « une nouvelle route terrestre » entre le Maroc et la Mauritanie est « presque finalisée », et Nouakchott mène des travaux sur son territoire pour garantir la continuité du corridor.

Mais la question des routes dépend surtout de la sécurité au Sahel. « Si vous avez des escarmouches, de facto, vos travaux s'arrêtent », pointe M. Alaoui, alors que la région est en proie à des attaques persistantes de groupes jihadistes.

Concernant l'import-export, le futur port en eau profonde « Dakhla Atlantique », conçu dans le cadre du développement du Sahara occidental, sera mis à disposition de l'initiative marocaine.

Lancé fin 2021, ce chantier de 1,2 milliard d'euros, situé à El Argoub, au cœur du territoire, affiche un taux d'avancement de 38 %. La fin des travaux est prévue pour 2028.