NANTES: Un collégien déjeunant dans la voiture de sa mère plutôt qu'à la cantine : une photo postée sur Facebook peu après la rentrée a mis en lumière la situation d'élèves porteurs de handicap ne pouvant plus bénéficier d’un accompagnant à midi pour des raisons institutionnelles.
"Quand j’ai appris que mon fils ne pourrait plus avoir son AESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap) à la cantine comme l’an dernier, je me suis effondrée", raconte Claire Lambert, mère d’un garçon de 11 ans, polyhandicapé, scolarisé dans un collège privé catholique à Pornichet (Loire-Atlantique), à l’origine du message d’alerte.
Une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020 précise en effet que les AESH sont financés par l’État sur le temps scolaire et, sur le temps périscolaire, par les collectivités locales, qui reprennent progressivement cette responsabilité. Or, aucune prise en charge n’est prévue pour les élèves de l’enseignement privé.
"Comme je ne pouvais pas arrêter de travailler, nous avons pris la décision de financer nous-mêmes l’AESH de notre fils sur le temps de cantine, ce qui revient à près de 200 euros par mois", explique celle qui vient de créer le collectif "Inclusion scolaire en danger" sur Facebook, qui réunit 70 familles et réfléchit à porter l’affaire en justice.
Confrontée à la même difficulté, Laëtitia Loheac, mère d’un élève de 11 ans, autiste et épileptique, scolarisé en CM2 dans une école privée de Nantes, a "trouvé des solutions temporaires avec l’école et ses éducateurs". "Et je vais déjeuner avec lui un midi par semaine", poursuit-elle.
"Mais ce bricolage n’est pas durable et a tout d’une discrimination", fustige la mère de famille.
Pour Sandrine Couedel, l’enseignante spécialisée du jeune garçon, "c'est une aberration de considérer que la pause méridienne n'est pas propice aux apprentissages", la pause de midi pouvant être "un très bon support pour apprendre les compétences sociales".
Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), les élèves concernés sont "quelques dizaines" par département.
Cet arrêt du Conseil d’État "contrevient totalement au principe de continuité éducative pour l’enfant, en opérant un cloisonnement entre temps scolaire et périscolaire", dénonce l'ADF.
De plus en plus d'enfants handicapés accueillis à l'école ordinaire
Quelque 430.000 enfants handicapés (contre 320.000 en 2017) sont scolarisés à l'école ordinaire avec les autres enfants, et bénéficient de différents accompagnements destinés à répondre à la diversité des situations, selon les chiffres de l'Education nationale.
Certains ont surtout besoin d'une aide matérielle, comme les malvoyants ou une partie des "dys" (dyslexie, dyspraxie...), qui peuvent suivre avec un matériel ou ordinateur adaptés.
Certains ont besoin d'être aidés par un Accompagnant d'élève en situation de handicap (AESH). Il y a 132.000 AESH, dont 4.000 supplémentaires à la rentrée 2022, selon le ministère chargé des Personnes handicapées.
Certains peuvent suivre les cours avec les autres enfants et à certains moments rejoindre, pour un soutien plus spécialisé, d'autres élèves en situation de handicap dans une classe Ulis (unité localisée pour l'inclusion scolaire) dans leur école. 10.272 dispositifs Ulis accueillent 118.000 élèves en 2022 (contre 93.000 en 2017).
Pour certains élèves handicapés, ces différents types de dispositifs peuvent se combiner.
Recommandation de l'ONU, la politique d'inclusion des élèves handicapés dans l'école ordinaire est mise en oeuvre dans la plupart des pays développés.
Enfin, 67.000 élèves sont scolarisés en établissements hospitaliers ou établissements médico-sociaux en 2022: soit parce que leur handicap est trop invalidant pour qu'ils puissent suivre dans une école ordinaire, soit parce qu'on ne leur a pas attribué d'AESH alors qu'ils en avaient besoin.
Le statut des AESH, rémunérés par l'Education nationale, a été amélioré ces dernières années, mais ils ont toujours des temps partiels avec des salaires autour de 800 euros.
La Défenseure des Droits, dans un rapport publié en août sur l'école inclusive, avait pointé en particulier les difficultés du temps périscolaire, comme la cantine, où les intervenants sont rémunérés par les collectivités locales: mairies pour l'école, départements pour les collèges, régions pour les lycées.
6 à 7% des enfants bénéficiant en classe d'une aide humaine en profitent également sur le temps périscolaire, essentiellement sur la pause méridienne, selon le ministère des Personnes handicapées.
La situation varie donc selon les collectivités. "Des AESH seraient partantes pour couvrir le temps périscolaire mais on affecte quelqu'un d'autre, car cela ne dépend pas du même budget et des mêmes acteurs", au détriment de "l'intérêt supérieur de l'enfant" qui a besoin de stabilité, avait relevé la Défenseure des Droits Claire Hédon.
Par ailleurs, 10.224 enfants handicapés ont été accueillis en crèche en 2020, soit 4.000 enfants supplémentaires par rapport à 2016, selon le ministère chargé des personnes handicapées.
«Situation impossible»
Co-président de la commission éducation de l’association des maires de France (AMF), le maire d’Arras Frédéric Leturque pointe "une décision institutionnelle très à distance des réalités vécues par les enfants, les parents et les agents des collectivités".
"Le Conseil d’État nous place dans une situation impossible, surtout dans les petites communes qui n’en ont pas les moyens", déplore l'élu.
Dans un courrier envoyé le 11 février 2022 au Premier ministre, que l’AFP a pu consulter, les associations représentant les communes, les départements et les régions estimaient que recruter et rémunérer des AESH "doit relever de la seule responsabilité de l’Etat".
Selon le ministère de l’Education nationale, 6 à 7% des enfants ayant une aide humaine en classe en bénéficient aussi sur le temps périscolaire et avant cette décision judiciaire "les situations locales étaient très variables".
"Conscient des difficultés concrètes pour les établissements, les familles et les élèves concernés", on indique, rue de Grenelle, proposer "notamment des contrats avec un employeur unique (l'Education nationale) incluant une mise à disposition sur la pause méridienne contre remboursement par l'entité responsable de l'accompagnement périscolaire".
Le ministère chargé des personnes handicapées précise lui que des discussions ont lieu avec les collectivités "pour qu’il n’y ait plus de situation de non prise en charge".
L'adjoint au Secrétariat général de l’enseignement catholique Yann Diraison estime que "la seule solution serait que l’Etat le prenne à sa charge, compte tenu de la loi de 2005 sur l’inclusion et la nécessité pour ces élèves d’avoir le même accompagnateur sur la journée."
Le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC), qui scolarise un millier d’élèves ayant besoin d’aide humaine pendant la pause méridienne, évalue à 3,2 millions d’euros le coût de ces accompagnants.
Dans son rapport 2022 sur "l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap", la Défenseure des droits souligne que "l’accueil de l’enfant sur les temps périscolaires, notamment à la cantine, est le corollaire du droit fondamental à l’éducation des enfants".