Les Palestiniens ou les grands absents du débat sur la démocratie israélienne

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, lors d’une session à la Knesset à Jérusalem, le 24 juillet 2023 (AFP)
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, lors d’une session à la Knesset à Jérusalem, le 24 juillet 2023 (AFP)
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Publié le Jeudi 03 août 2023

Les Palestiniens ou les grands absents du débat sur la démocratie israélienne

Les Palestiniens ou les grands absents du débat sur la démocratie israélienne
  • Le reste du monde refuse, en majorité, de reconnaître la discrimination systémique que subissent les Palestiniens, que ce soit dans les territoires occupés ou même à l’intérieur d’Israël
  • Ces derniers mois, trois communautés palestiniennes ont décidé d’abandonner leurs villages parce que la violence et l’agression des colons étaient devenues trop fortes

Il y a une semaine, au mépris des manifestations de masse, soixante-quatre membres de la Knesset israélienne ont porté leur premier coup au système judiciaire israélien. Cette attaque dramatique contre le système politique israélien a même suscité les critiques du président américain. Mais ce qui est extraordinaire, c'est que ceux qui pourraient être les plus grandes victimes de ce vandalisme politique – les Palestiniens – sont à peine mentionnés.

Le récit conventionnel est simplement que Benjamin Netanyahou et consorts veulent se protéger. Le Premier ministre assiégé, faible comme jamais auparavant en plus de quinze ans au pouvoir, veut à tout prix éviter la prison. Il est mis en examen sous trois chefs d’accusation. De plus, M. Netanyahou pourrait souhaiter rétablir dans ses fonctions l’ancien ministre de l’Intérieur, Aryeh Deri, dont la nomination a été jugée «déraisonnable» par la Cour suprême, en raison de sa condamnation en 2022 pour fraude fiscale. Mais ce sont des problèmes mineurs par rapport à la situation dans son ensemble.

Les juifs israéliens ont de quoi protester, en particulier ceux qui ont un penchant démocrate ou libéral. C’est une atteinte à l’État de droit et à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il s’agit du troisième pilier vital du système politique israélien et tous les efforts doivent être faits pour éviter qu’il soit asservi à l’exécutif et au législatif.
Depuis trente semaines, des centaines de milliers de juifs israéliens font entendre leur voix. Leur combat est louable. Ils ont fait face à la police israélienne, disposée à utiliser la force pour les retenir, même si ce n’est qu’une partie infime des forces déployées à chaque fois que les Palestiniens osent participer à une manifestation non violente.

C’est une lutte pour le pouvoir qui ne peut que se poursuivre. Elle déterminera la trajectoire de l’avenir d’Israël et dans quelle mesure le pays se rapprochera d’une théocratie. Le milieu laïc des affaires d’Israël, principalement situé le long de la côte, se heurte au secteur nationaliste plus religieux, qui se trouve essentiellement à Jérusalem et dans les colonies.

Pour les Palestiniens, le discours sur la démocratie israélienne est dépourvu de sens; c’est un fantasme, une mauvaise plaisanterie.

Chris Doyle

Ce que la plupart des médias refusent de comprendre, c’est la mesure dans laquelle les citoyens palestiniens d’Israël ne sont absolument pas impliqués et comment une grande partie de ce sabotage judiciaire est le fait du mouvement des colons et de ceux qui souhaitent non seulement perpétuer l’occupation, mais aussi éradiquer la présence politique significative des Palestiniens dans les territoires occupés.

Les citoyens palestiniens d’Israël ne considèrent tout simplement pas la Cour suprême comme étant à leur avantage. Oui, ils y auront recours, mais avec de faibles attentes. Quant aux Palestiniens des territoires occupés, chaque fois qu’ils optent pour la Cour suprême, ils se heurtent à la loi de l’occupant qui leur est complètement défavorable. Au mieux, ils peuvent retarder un projet d’expulsion ou de confiscation des terres. Ils ne font l’expérience d’aucune justice et d’aucune situation raisonnable.

Le reste du monde refuse, en majorité, de reconnaître la discrimination systémique que subissent les Palestiniens, que ce soit dans les territoires occupés ou même à l’intérieur d’Israël. Pour les Palestiniens, le discours sur la démocratie israélienne est dépourvu de sens; c’est un fantasme, une mauvaise plaisanterie.

Mais ce qui est sans doute plus surprenant, c'est que le monde extérieur n'a pas compris les raisons de cette situation. En réalité, certains manifestants israéliens commencent tout juste à comprendre cela, ou peut-être à admettre ce qu’ils ont toujours su.

L’occupation et l’annexion sont au cœur de ces mouvements. Yariv Levin, le ministre israélien de la Justice et architecte de cet assaut judiciaire, a été très clair à la tribune de la Knesset. Il a choisi cinq exemples de cas où la Cour suprême avait agi de manière déraisonnable. A-t-il cité un seul exemple lié au fonctionnement interne d’Israël? Non. Parmi les cinq exemples cités, tous portaient sur le traitement des Palestiniens par Israël. Deux d'entre eux concernaient l'entrée de Palestiniens en Israël, notamment la décision d'annuler le refus d'entrée en Israël d'un étudiant américano-palestinien qui soutenait le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), ainsi que l'annulation d'une décision de l'armée israélienne d'expulser trois Palestiniens. Les deux derniers exemples faisaient référence à des militants israéliens qui cherchaient à défier l'occupation.
Le ministre Levin et les autres responsables qui soutiennent cette agression n’ont pas hésité à expliquer leurs raisons. La Cour suprême, qui n’a jamais défendu les droits des Palestiniens et qui a souvent participé à l’oppression, est devenue un obstacle pour ces extrémistes. Historiquement, elle a souvent donné son approbation à des activités illégales.

Les colons et leurs partisans réclament plus de terres palestiniennes et moins de Palestiniens. Ils sont impatients. Leur extrémisme a même conduit Tamir Pardo, un ancien chef du Mossad, à comparer la droite israélienne, y compris au sein du gouvernement, au Ku Klux Klan.

 

Les colons et leurs partisans réclament plus de terres palestiniennes et moins de Palestiniens.

Chris Doyle

MM. Levin et Netanyahou veulent l’annexion formelle de la Cisjordanie. Les Palestiniens deviendront officiellement des non-citoyens dans l’État d’Israël, autorisés à continuer d’exister dans des bantoustans (en Afrique du Sud, au temps de l'apartheid, territoire délimité, «foyer national» attribué à un peuple ou à un groupe de peuples noirs) semi-autonomes. Le déplacement forcé des Palestiniens des zones rurales vers les villes surpeuplées sera accéléré. Ces derniers mois, trois communautés palestiniennes ont décidé d’abandonner leurs villages parce que la violence et l’agression des colons étaient devenues trop fortes.

La Cour suprême fait preuve de lenteur dans le cas des colons. Cela signifie des retards. Les arguments juridiques prennent du temps. Prenons l’exemple de Masafer Yatta dans les collines du sud de Hébron. Les colons se battent depuis des années pour que la Cour suprême expulse plus de mille familles. Bien sûr, ils ont finalement eu gain de cause au mois de mai dernier. À un moment donné, l’armée israélienne les expulsera de force. La pression internationale a, comme la Cour suprême, parfois agi comme un frein temporaire. Il en va de même pour de nombreuses communautés palestiniennes à Silwan, Cheikh Jarrah et Khan al-Ahmar, pour n’en citer que quelques-unes. En Israël, un tribunal a ordonné à une communauté de cinq cents Bédouins de quitter leur village non reconnu de Ras Jrabah dans le Néguev.

Une autre initiative actuelle de l’extrême droite consiste à adopter une loi qui empêcherait la Cour suprême d’annuler la décision de la commission électorale de la Knesset. Qu’a donc toujours fait la commission des élections? Elle a pris des décisions consistant à interdire les partis palestiniens, que la Cour suprême a ensuite rejetées.

Il est temps d’avoir un débat plus éclairé et honnête. La démocratie n’a toujours été qu’une chimère en Israël. Comment le pays pourrait-il être une démocratie, sachant qu’il a appliqué la loi militaire aux populations palestiniennes jusqu’en 1966, maintenu un régime colonial dans les territoires occupés depuis 1967 et adopté toute une série de lois privilégiant les juifs par rapport aux non-juifs et discriminant les Arabes?

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (CAABU) basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l’université d’Exeter. Il a organisé et accompagné les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com